C’est hyper intéressant toutes les recherches que tu as faites !
Au dela du problème physiologique, je pense qu’il y a aussi un facteur qui entre en compte, c’est la technique développée pour rouler. La seule expérience dont je peux parler, c’est la mienne, et je ne dis pas qu’elle s’applique à toi. Mais les forums, ça permet aussi de partager ça, si ça peut apporter « my 2¢ » comme diraient les américains. Je me suis mis au mono à 40 ans bien passés (j’en avais fait un peu à la 20aine, mais pas assez pour rouler confortablement, puis ce mono a disparu tragiquement et j’ai jamais roulé à nouveau), et j’ai appris essentiellement seul. Il y a pleins de tutos sur le web, et parlant anglais, ça m’ouvrait encore plus de ressources.
Quand j’ai commencé à savoir rouler à peu près, je me suis mis aux balades dans les bois, et j’ai progressé tout en développant de mauvaises manies - mais sans le savoir. De plus, en sous bois / chemin, on se fait plaisir rapidement car il y a pleins de raisons d’être content : maîtriser tel passage boueux sans s’étaler dans 10cm de gadoue, passer telle racine, etc. Mais j’ai commencé à réaliser - surtout quand j’ai eu le 29 - que dès que j’arrivais sur du dur, c’était l’horreur. Impossible d’aller droit, le moindre dévers me faisait partir, j’avais l’impression que mon corps était vrillé d’un côté. Ca disparaissait dès que je quittais la route et retrouvais la terre battue. J’ai cherché dans tous les sens : j’ai passé des heures à jouer sur la pression du pneu, j’ai alterné les pneus, les ai montés dans l’autre sens. J’ai fait des dizaines d’arrêt pour orienter ma selle plus à gauche, plus à droite, vers le haut, plus basse, plus haute. Rien à faire.
J’ai commencé à rouler avec le club de Bussy en intérieur. Comme je suis beaucoup à analyser ce que je fais - j’ai l’impression que c’est commun à pas mal de monocyclistes, non ? - j’ai remarqué en observant les bons monocyclistes (et les gamins) que leur mono semblait glisser comme lors d’une perpétuelle chute avant. Alors que moi, j’avais plutôt l’impression d’avoir un mouvement de pendule : je tombe en avant, je roule en accélérant pour rattraper jusqu’à avoir la sensation de tomber en arrière, auquel moment je freine pour me faire tomber en avant, et ainsi de suite. J’y ai fait quelques sessions, ça a amélioré mon free-mounting, et mon pendule est allé mieux, mais toujours là. Manque de retour des autres monos sans doute car on était plutôt lâchés en meute dans le gymnase - top de rouler en intérieur cela dit. Je suis retourné à mes chemins, tellement plus plaisant au final.
J’ai fait ma première sortie avec le forum, il y a un petit moment à Fontainebleau. J’avais fait une autre sortie à l’étranger où j’avais retenu un conseil sur le pédalage - « n’appuie pas sur les pédales, fais comme si tu raclais de la terre collée sous ta semelle » - même si c’est un peu virtuel comme concept. A Fontainebleau, j’ai fait des bons progrès en une journée. On m’a parlé de « mettre du couple » sur les pédales plutôt que d’appuyer - un peu concept, c’est vrai. En tout cas, ça a du bon de rouler avec d’autres. Ca me sort de ma zone de confort, et aussi ça me permet d’observer comment d’autres roulent - et du coup de comprendre des trucs sur moi-même.
Et peu de temps après, je me suis rendu compte que j’avais en fait appris à rouler avec bien plus de poids sur les pédales qu’il ne le faudrait. En analysant pourquoi, c’était évident : en chemin, je suis tout le temps sur le qui-vive, à l’affut de la prochaine racine, du caillou qui dépasse, du dévers boueux ou autre flaque qui peut cacher un trou, et dans ces cas, c’est avec les jambes qu’on contrôle le terrain et on est en tension en prévision. De plus le chemin (en tout cas en sous bois) est rarement droit. Donc je n’avais jamais à rouler vraiment droit non plus, c’était en permanence des changements d’appui. C’était très clair d’un coup : j’avais réussi à perfectionner une mauvaise méthode, mais à un point assez poussé qui me donnait l’illusion d’être sur la bonne voie. Sauf que, forcément, dès que la terre devenait du goudron plat en ligne droite, ça ne marchait plus du tout. On a tous un pied dominant (donc le mono qui dérive), et le fait même d’appuyer plutôt que d’être assis fait qu’on ne peut pas aller bien vite, et ajoute là-dessus la crispation (encore exacerbée par la peur de tomber sur le goudron, ce qui semble moins fun que de faire un roulé-boulé dans la terre meuble et feuillue des sous-bois).
Depuis quelques temps, je suis retourné à la base pour essayer de corriger mes défauts et gommer les erreurs. C’est pas évident. D’abord parce que ça fait 4 décennies que mon corps maitrise la marche à pied et le vélo. Mais aussi que la plupart des sports que j’ai pu faire (même si je ne considère pas comme vraiment sportif) faisaient appel à un travail de jambes - ski, snow board, bmx, VTT - alors qu’en mono, le contrôle (de base du moins) se fait plutôt au niveau du bassin. Les pires réflexes venant probablement du vélo où face à n’importe quel obstacle, on se met debout. Donc c’est pas évident de reprogrammer le cerveau, surtout en débutant sur le tard. L’autre truc, c’est aussi que l’instinct de survie est plus développé qu’avant et la petite voix qui dit « attention à pas te faire mal » est plus forte et audible qu’elle ne l’était. Et pour combler le tout, ça faisait bien 2-3 ans que je roulais comme ça.
Mais c’est aussi ce qui m’attire dans le mono : devoir remettre en question des trucs acquis depuis des années, et arriver à un niveau de concentration sur la tâche qui m’élève à un niveau digne de la méditation. La difficulté ultime étant de se concentrer, d’être entièrement là… pour arriver à se relâcher au maximum !
Ca fait un moment que j’y travaille - mais bon je ne roule qu’une fois par semaine, voire 2 - mais ça porte ses fruits. La rando du 11 novembre a été un saut quantique pour plusieurs raisons. Je me suis fait mal au genou droit il y a pas très longtemps, du coup j’avais un peu peur d’y aller. Le 36", ça peut être salement violent sur les genoux quand tu essayes de ralentir ou de contrôler cette lourde roue. De plus, j’avais jamais fait plus de 20km sur une journée. Je me suis un peu fait violence le matin même, mais j’y suis allé. C’est un super groupe faut dire, et la météo était au top. De plus, je sais que rouler hors de ma zone de confort de temps à autre, ça m’aide aussi. Après le déjeuner, avec la fatigue, la douleur au genou s’est réveillée. Et je savais que plus je me m’asseyais dans ma selle, moins le genou faisait mal - c’est la théorie du moins, et ça s’est vite révélé comme très vrai. Mais le chemin étant de pire en pire, la douleur croissait à chaque instant puisque je me relevais de plus en plus - et en même temps ça me forçait à me dire « rassieds toi, tu auras moins mal ». J’ai réussi à rester assis à des moments où je me serai levé - même de manière infime. Mais passé un certain stade, c’était intenable. Entre la lumière qui baissait, le chemin de pire en pire, la fatigue et la douleur, je pense que j’ai bien fait 2 ou 3km à pied au final. Mais de toute façon, j’avais plus le choix : j’allais pas dormir à côté du canal. Une fois dans Paris, j’ai pris le métro, même les escaliers me tuaient.
Le dimanche qui a suivi, ça a été une des meilleures sessions en 36". L’expérience vécue quelques jours plus tôt (j’ai failli dire « l’enfer », faut quand même relativiser par rapport à ceux que d’autres vivent en ce moment…) avait porté ses fruits. Une sorte de déclic - pas si franc, parce que je crois pas au déclic pour l’apprentissage du mono - en tout cas une étape franchie qui fait que ça devient plaisant, et sans douleur. J’ai arrêté de me fixer sur mon bassin pas aligné - ce que m’a dit l’ostéo - ou sur le fait d’avoir la jambe droite plus longue que la gauche - je roule et je me fais plaisir. Je sais aussi que je pourrais bientôt passer aux manivelles plus courtes, content d’avoir résisté à l’appel des 125mm qui, telles la sirène qui te fait miroiter un avenir radieux de sa douce voix, demandent de la maitrise et du lâcher-prise plus élevés qu’on ne le pense.
C’est pas que la rando qui a fait ça, c’est aussi les assouplissements, les étirements, le yoga, la respiration, etc. J’ai encore bien du boulot devant moi, et même si je sais bien que je ne serai jamais un champion, je sais que je suis sur une voie que je n’aurais pas pu prendre si je n’étais pas revenu aux bases depuis quelques temps.
Pourquoi je raconte tout ça dans cette section ? C’est une sorte de bobo du mono j’imagine - cela dit, j’aurais pu parler de mon entrejambe irrité par 50km de selle en jeans, ç’aurait été dans le sujet. Non, ça doit être pour prouver que décidément, ces quadragénaires ils peuvent pas s’empêcher d’écrire des romans !